bio gaz

 

Le biogaz fait moins de bruit que le gaz de schiste, mais c'est une nouvelle bataille qui se prépare entre l'industrie et les campagnes.

 Après le solaire, la petite dernière des énergies renouvelables séduit autant les agriculteurs que les investisseurs et les industriels. Le nombre de projets bondit depuis le relèvement, l'an dernier, des tarifs d'achat de l'électricité produite par les méthaniseurs et la possibilité récente d'injecter le biométhane dans les réseaux de gaz de ville. L'annonce récente d'un plan biogaz par le Premier ministre lors de la conférence environnementale rend la filière encore plus prometteuse.

Loin derrière l'Allemagne et ses 7.000 unités, la France s'initie à peine à cette filière avec une cinquantaine de méthaniseurs agricoles et industriels. « Il y a plus d'un millier d'installations à la ferme à construire et 200 gros méthaniseurs territoriaux, c'est-à-dire digérant également des sous-produits industriels. On peut tabler sur un marché d'une cinquantaine d'installations annuelle »,  , explique Marc Bauzet, directeur commercial du bureau d'études spécialisé Naskeo.

Le dirigeant d'un fonds d'investissement le constate depuis quelques mois : les dossiers de méthaniseurs agricoles se multiplient. Une centaine de projets seraient actuellement en développement, d'après Caroline Marchais, responsable du club biogaz de l'Association technique, énergie, environnement (Atee), qui regroupe les 200 acteurs de cette filière en émergence. Avec l'achat du kWh entre 11 et 20 centimes d'euro, la rentabilité des projets a augmenté. Alors que le financement exigeait, il y a quelques années, 30 à 50 % de subventions, cette part a été divisée par trois. Autre coup de pouce, les industriels qui livrent leurs déchets organiques aux méthaniseurs minorent désormais leur taxe générale sur les activités polluantes. « Cela a donné une forte impulsion », confirme Frédéric Flipo, cofondateur de Holding Verte. La consolidation du secteur vient d'ailleurs de pousser ce développeur à s'allier à un autre acteur historique pour financer son portefeuille de projets de 10 MW .

Bras de fer sur l'engrais

Les exploitations agricoles restent le gisement le plus simple à exploiter. Les éleveurs ou des agriculteurs disposent de lisier, de fumier, de déchets agricoles ou des invendus qu'ils peuvent valoriser dans de petites unités de 100 à 200 kW. L'électricité produite est revendue à EDF, et la chaleur utilisée pour les besoins de l'exploitation. Des projets plus gros, jusqu'à 600 kW, sont souvent montés au niveau territorial en valorisant également des déchets de l'agroalimentaire (graisses d'équarrissage, huiles de friture, etc.). « Les agriculteurs sont toujours présents dans ces montages car ils maîtrisent l'approvisionnement mais surtout la valorisation des digestats », explique Caroline Marchais.

Ce dernier poste de la méthanisation conditionne l'équation économique du projet. Pas traités, ces déchets représentent un coût d'élimination. Séchés et purifiés, ils peuvent être épandus aux champs, devenir de l'engrais. Or c'est précisément ce fertilisant qui devient l'enjeu d'un bras de fer entre les industriels et les agriculteurs. Ces derniers se débarrassent classiquement du lisier ou du fumier en les épandant, mais l'azote est difficilement assimilable par les cultures sous cette forme. La méthanisation de cette matière organique a pour avantage de restituer un digestat riche en azote directement assimilable. Le spécialiste de la méthanisation à la FNSEA, Laurent Paquin, situe l'enjeu : « Cette valorisation de l'ensemble des déchets agricoles suffirait à rendre l'agriculture française autosuffisante en engrais. Cela éviterait également tous les problèmes de pollution des nappes phréatiques et des cours d'eau. »

Les agriculteurs entendent donc bien garder la main sur cette ressource qui, selon eux, va devenir précieuse à l'avenir. « Nous ne voulons pas reproduire l'erreur des agriculteurs dans les années 1960 qui n'ont pas voulu s'aventurer dans la distribution de leurs produits et se sont laissés exploiter par la grande distribution », justifie l'élu syndical. La FNSEA craint que les grands groupes du secteur des déchets et les industriels de l'agroalimentaire ne les contournent. « Ils poussent la normalisation des digestats pour pouvoir en faire un produit commercial alors que nous soutenons le maintien de l'obligation d'un plan d'épandage qui assure leur valorisation locale », insiste Laurent Paquin. Marc Bauzet confirme que cette normalisation fait partie des demandes de la filière au gouvernement pour le plan biogaz. « A ce jour, le digestat est considéré dans la réglementation comme "un déchet", ce qui n'est pas logique puisqu'il peut être utilisé en substitution d'engrais. A terme, en cas de normalisation, ce coproduit ne constituerait plus une charge pour les projets, mais plutôt un revenu. »

Tension sur la ressource

En amont de la filière, des conflits sur l'approvisionnement en matière première peuvent aussi apparaître. Loïg Imbert, expert énergies renouvelables au Crédit Agricole Val de France, voit dans les nombreux dossiers qu'il reçoit de plus en plus de compétition dans la ressource : « Parfois, le même gisement est revendiqué par plusieurs projets. C'est souvent le premier à se monter qui y accède. » Dans certains cas, la concurrence vient même des méthaniseurs allemands et belges, deux pays offrant aux producteurs des tarifs d'achat plus généreux. « En France, l'investissement se monte à 8.000 à 11.000 euros le kW quand, en Allemagne, il se limite à 5.000 euros », précise Caroline Marchais. Autre phénomène, les producteurs des déchets les plus méthanogènes comme la graisse ou les résidus de céréales sont de plus en plus tentés de faire payer leur « carburant ». « On est en train d'inverser la logique », s'étrangle Laurent Papin.

Alors, l'engouement pour le biogaz forme-t-il une petite bulle risquée ? Caroline Marchais n'y croit pas : « Cette énergie ne se prête pas à la spéculation car les quantités de matière sont limitées. » Au Syndicat des énergies renouvelables, Olivier Bertrand relativise aussi : « Le niveau des tarifs permet d'enclencher le marché, mais on n'a pas encore assez de retours d'expérience. »

Sans compter que le biogaz peut être victime des oppositions locales, comme celles qui ont condamné le projet de méthaniseur porté par une collectivité dans le Roannais.

Écrit par Matthieu QUIRET
Journaliste à "Les Echos"
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