A l'occasion de l'ouverture du grand débat sur la transition énergétique, les pétroliers ont donné ce jeudi de la voix sur un sujet qui leur tient très à coeur: les gaz de schiste. Passage en revue de leurs arguments.
Chonoix n°4- Blandy 8 juillet 2011 2


"On ne veut rien qui puisse empêcher l'avènement radieux des énergies renouvelables", Jean Ropers, le président GEP-AFTP (association des entreprises parapétrolières et paragazières), ne manque pas d'ironie en ce jour d'ouverture du grand débat sur la transition énergétique. Dans une petite salle du Grand Palais, l'association des entreprises pétrolières et parapétrolières reçoit les journalistes pour les convaincre qu'une exploitation propre et contrôlée des gaz de schiste est possible. Depuis que François Hollande a entrebâillé la porte à l'exploitation des très conservés hydrocarbures, en constatant qu'il ne pouvait interdire la recherche sur les alternatives à la fracturation hydraulique, les industriels ont retrouvé de l'espoir. Aujourd'hui, ceux qui se plaignaient de ne pas avoir droit de cité dans les médias, déploient leur argumentaire. Passage au crible.
La fracturation hydraulique propre c'est possible

Pour l'heure, les industriels en conviennent, il n'existe pas d'alternative à la fracturation hydraulique, du moins mise en oeuvre à un niveau industriel. Toutefois, cette technique accusée de tous les maux au travers de l'expérience américaine, ne serait pas en soi aussi désastreuse qu'il n'y paraît. "La fracturation comporte des risques, admet Pascal Baylocq, président du comité de réflexion sur les gaz non conventionnels au sein du GEP-AFTP. Mais aujourd'hui nous sommes en mesure de les encadrer", estime-t-il. Comment? Par le tubage et la cimentation des puits qui permettraient une parfaite étanchéité des forages, notamment au moment du passage dans les nappes phréatique.

Par ailleurs, les produits envoyés dans les sous-sols, à quelques centaines de km sous terre, ne seraient ni aussi polluants, ni aussi nombreux qu'on le dit. "Nous avons énormément progressé. Ces produits, qui sont contrôlés au niveau européen, par la réglementation REACH, proviennent désormais essentiellement de l'industrie agro-alimentaire". Ou plus exactement de composants communs dans les produits de grande consommation. On y trouve entre-autre de l'acide chlorhydrique utilisé dans les détergents pour piscine ou de l'éthylène glicol dans les nettoyants ménagers...

Enfin, le risque de sismicité serait quant à lui limité grâce à une mesure en temps réel des fissures pendant les opérations de fracturation.

In fine, pour les industriels, ce sont bien les pratiques américaines qui ont entaché pour longtemps l'image de ces hydrocarbures. "Aux Etats-Unis, ils ont fait ça comme des cow-boy. En France, nous n'avons pas du tout la même culture de l'écologie", estime Jean Ropers, qui pointe notamment du doigt les petits exploitants particuliers qui se sont rués sur ces gisements sans aucune précaution. Reste qu'à la question de savoir si certaines études ont déjà prouvé l'absence de nocivité de la technique d'un point de vue environnemental, le GEP-AFTP est bien incapable d'en citer une... "Il faut faire nos propres recherches", reconnaît l'association.
Il est possible de limiter la consommation d'eauOutre les risques de pollution, la fracturation hydraulique est également accusée d'être très consommatrice en eau. Pour un puits, comptez entre 10 et 20.000 m3, soit 300 m3 par fracturation. C'est important, mais à relativiser selon le GEP-AFTP, qui rappelle que cette consommation correspond à 12 jours d'arrosage d'un golf, et que l'extraction minière du charbon demande 2 à 4 fois plus d'eau par unité d'énergie. "Les pétroliers sont les meilleurs ingénieurs du retraitement de l'eau. C'est pourquoi aujourd'hui, nous disposons de multiples possibilités pour consommer moins: la réutilisation de l'eau issue des fracturations précédentes, l'utilisation d'eau usée retraitée, ou d'eau de mer", plaide Pascal Baylocq. Les pétroliers l'admettent toutefois, la réutilisation de l'eau des forages précédents n'excède pas 50%. En clair, malgré des recherches pour remplacer l'eau par d'autres composants, comme du gaz carbonique, la fracturation n'a pour le moment, pas réussi à s'affranchir de ses besoins en eau. Cet été certaines villes américaines souffrant de la sécheresse ont décidé d'interdire l'utilisation de l'eau pour les gaz de schiste.
La France est assise sur un tas d'orLes seules estimations dont nous disposons aujourd'hui donnent le tournis.Selon l'AIE, la France serait assise sur 5000 milliards de m3 de gaz de schiste. Soit l'équivalent de 100 ans de consommation actuelle. La GEP-AFTP se veut prudente à l'égard de ces chiffres établis par ordinateurs, à partir de données théoriques. "L'exemple de la Pologne nous a montré que les estimations de l'AIE pouvaient être très éloignées de la réalité", rappelle Pascal Baylocq. Toutefois, depuis la surface, les géologues sont capables d'affirmer que le sous-sol français abrite des schistes, c'est-à-dire des roches sédimentaires compactes et profondes où du gaz a potentiellement pu se former par transformation de restes organiques anciens. L'argument de la corne d'abondance se suffit-il à lui-même? Ce qui est sûr, c'est qu'une fois que du gaz aura été trouvé, il sera très difficile de revenir en arrière. "Nos petits enfants méritent qu'on se détourne de la drogue dure des énergies fossiles et qu'on mette le paquet sur les renouvelables", disait récemment Philippe Martin, député du Gers. De fait, le gaz a beau être moins émetteur de CO2 que le charbon par exemple, il reste une source d'énergie polluante et fossile, c'est-à-dire épuisable. En se précipitant sur ces gisements, ne s'interdira-t-on pas de penser le modèle énergétique autrement?

Des milliers d'emplois... mais pas de recettes avant 10 ans

Bien sûr, l'argument économique est le premier brandi par les industriels qui rappellent à qui veut l'entendre que la facture énergétique de la France représente quasiment 90% de la balance commerciale hexagonale (plus de 70 milliards d'euros). "Grâce aux gaz de schiste, on ferait baisser durablement les prix du gaz, et on créerait des milliers d'emplois, comme à Lacq", souligne Pascal Baylocq. Avant d'admettre qu'on ne tirera pas un centime de ces hydrocarbures avant 10 ans...

Aux Etats-Unis, l'eldorado des gaz de schiste vanté récemment par l'AIEn'est d'ailleurs pas aussi idyllique qu'il n'y paraît. Sur place, certains commencent déjà à parler d'une bulle des schistes comparables à la bulle internet des années 2000. Avec la prolifération des puits, et la baisse des prix du gaz - 3,5 fois moins élevés qu'en Europe et 6 fois moins élevés qu'en Asie- le n°2 du secteur, Chesapeake Energy, est aujourd'hui au bord du dépôt de bilan...

 Par Julie de la Brosse - publié le 29/11/2012 sur L'EXPANSION.FR

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